Confidence d’un ancien joueur international et sélectionneur de l’Équipe de France, Marc Lièvremont nous parle de son rapport à l’arbitre. Une entrevue enrichissante qui met l’accent sur la relation arbitre-technicien.
Bonjour Marc,
Merci de répondre à nos questions et surtout de faire un focus sur l’arbitrage du Rugby et de votre relation aux arbitres. Mais avant de rentrer dans le vif du sujet, pour débuter cette interview, je vous propose de faire un tour d’horizon de votre longue carrière. Dîtes-nous tout !
Je suis un ancien joueur de rugby professionnel et international. J’occupait le poste de troisième ligne aile et j’ai évolué dans les clubs de Perpignan, du Stade Français et de Biarritz. Après une blessure au genoux droit en 2002, ma carrière de joueur s’est terminée et j’ai débuté une nouvelle carrière comme entraîneur. Puis, j’ai eu la chance de devenir le sélectionneur de l’équipe de France de 2007 à 2011.
J’ai eu la joie de gagné un tournoi des XI nations en 1998 avant de devenir vice-champion du monde en 1999. Comme entraineur j’ai pu coacher les espoirs de Biarritz, le club de Dax avec lequel nous sommes montés en Top 14 et également l’Équipe de France de 2007 à 2011, période durant laquelle nous avons réalisé le Grand Chelem en 2010 avant de perdre une nouvelle finale de coupe du Monde en 2011.
J’ai depuis quitté les terrains du ballon ovale pour devenir consultant pour Canal+ notamment.
Voilà une carrière bien remplie pour vous Marc. Joueur, entraîneur puis sélectionneur avant de devenir consultant. Vous avez occupé beaucoup de fonctions dans le rugby mais pas celle d’arbitre. Pourquoi ?
Non, je n’ai jamais été arbitre. Si, sauf sur des entraînements quand on travaillait des situations d’opposition et « je jouais » l’arbitre. Mais mon expérience se limite à cela.
Cependant, ce qui est certain, c’est que j’aime beaucoup le rôle de l’arbitre. J’ai eu la chance de décliner toutes les fonctions dans mon sport sauf arbitre. Mais j’aurai beaucoup aimé être arbitre, j’aime beaucoup cela. Aussi, à mon époque les choses se passaient autrement. Maintenant, il y a une sensibilisation à l’arbitrage plus accrue chez les jeunes et une détection importante au sein des clubs pour dénicher des joueurs souhaitant devenir arbitre, ce qui n’était pas le cas avant. Aujourd’hui, des jeunes envisagent et se projettent aisément sur l’arbitrage. C’est une excellente chose !
Personnellement, j’ai eu la chance de me réaliser comme joueur très rapidement et je n’ai jamais eu l’opportunité réel de prendre le sifflet. Cependant, maintenant en tant que consultant, j’analyse le jeu et les décisions arbitrales et je considère que mon rôle de consultant détient une dimension pédagogique importante. Ainsi, tout en étant mesuré et le plus neutre possible, j’explique les décisions des arbitres et j’essaie d’analyser leurs erreurs ou oublis pour amener tout un chacun à évoluer sur la compréhension des règles du Rugby.
Chaque sport à ses spécificités et ses règles. Le Rugby est particulièrement compliqué à arbitrer : il y a les règles et les interprétations, ces dernières sont modifiées parfois pour rendre le jeu plus spectaculaire ou tout simplement pour mieux protéger les joueurs. Par conséquent, je peux affirmer que c’est un sport compliqué à arbitrer. J’ai beaucoup de respect pour les arbitres.
Quand j’étais joueur j’ai eu, comme tout le monde, des situations conflictuelles avec des arbitres mais cela ne m’a pas empêché de tisser des liens d’amitié avec des arbitres. D’ailleurs, j’ai été le seul sélectionneur qui a exigé à la Fédération Française de Rugby d’intégrer un arbitre dans mon staff. C’était Joël Jutge, il est devenu un très bon ami.
De cette expérience au contact des arbitres, comme joueur puis sélectionneur, quel est votre vision de l’arbitre ? Quel est pour vous un bon arbitre ?
Il y a un parallèle similaire à faire avec le parcours d’un joueur et ce qu’on attend de lui. En effet, il y a une dimension de performance et d’excellence, de préparation physique et mentale, de préparation de match et de stratégie… C’est la même approche qu’avec un joueur même si ce n’est pas la même préparation et le même rythme. Cependant, pour prétendre devenir arbitre haut-niveau il faut avoir une bonne condition physique, d’excellents réflexes, travailler sa vision périphérique et panoramique, être capable d’auto-critique et de bosser sur la préparation des matches. On le constate facilement, il y a beaucoup de similitudes.
Si je devais synthétiser mon propos, je dirais qu’un bon arbitre doit viser l’excellence, être au service du jeu, savoir se remettre en question, faire preuve d’humilité, de bosser dur et surtout prendre prendre du plaisir. Arbitrer un match de très haut niveau, en terme de pédagogie, gérer 30 colosses avec une tension extrême et des enjeux, ce n’est pas simple et demande beaucoup de qualités et une maîtrise importante. Maîtrise des règles mais également maîtrise de soi. C’est une philosophie calquée sur celle d’un joueur quelque part.
Pour ce qui est des qualités que je recherche chez un arbitre, je peux en citer plusieurs. Tout d’abord, son impartialité, ce qui doit être évidemment acté. Ensuite, sa cohérence. Cela est très important pour moi. L’arbitre peut faire des erreurs, cela fait partie du jeu, mais sa cohérence démontrera sa capacité à bien manager le jeu. Bien évidemment, sa maîtrise parfaite de la règle.
Pour compléter, de bons placements qui sont nécessaires pour avoir le meilleur jugement. Il doit pour cela avoir une bonne condition physique. Il doit faire preuve de pédagogie et d’une bonne gestion de ses émotions.
Je voudrais m’arrêter sur la pédagogie chez un arbitre. Pour moi la communication est importante et l’arbitre doit savoir trouver le bon ton et l’adapter selon les situations. Pour cela, il y a une chose essentielle pour y réussir c’est d’être soi même : être authentique, ne pas jouer un rôle ou bien sur-jouer. L’arbitre n’est pas qu’un « flic » sur un match et il doit faire preuve de proximité, d’ouverture et de pédagogie, sans être trop dans la prévention et la justification permanente. Il y a plusieurs niveaux de communication à trouver : savoir dialoguer quand il le faut et sanctionner quand cela est nécessaire.
Marc Lièvremont
Par ailleurs, une chose importante est le respect pour les acteurs du jeu. Je considère que l’arbitre doit avoir de bonnes distances avec les joueurs, mais cela n’exclut pas l’humour voire la petite phrase qui détendra une situation de conflit. L’arbitre doit savoir être une fois sévère, une fois plus coulant. La gestion des acteurs est essentielle.
Enfin, être arbitre nécessite beaucoup de concentration et des qualités d’anticipation. J’ajouterais même du courage ! Car il en faut surtout pour prendre des décisions qui sont justes mais parfois mal comprises des acteurs.
Voilà une vision très complète de ce que doit être un arbitre pour vous. Maintenant Marc, en tant qu’ancien technicien, comment appréhendiez-vous la relation entraîneur-arbitre ?
Je pense que la clef du succès est la transparence et arriver à un match sans a priori malgré le passé commun que l’on peut avoir sur un ancien match qui ce serait mal déroulé. C’est un peu comme des mini traumatismes, mais cela ne doit pas tronquer la relation et la communication entre l’entraineur et l’arbitre.
Je dirais qu’il y a des rapports liés au match qui sont facilitateur pour nous entraîneur, comme d’aller se présenter et échanger avec les arbitres avant un match. C’est d’ailleurs assez drôle car je faisais le lèche cul en allant discuter avec les arbitres. J’en profitais pour dire : « Monsieur l’arbitre, vous avez des messages à faire passer à mon équipes ? », « On essaie de respecter la règle vous savez», ou encore on pouvait faire de la délation suite à la préparation du match en glissant à l’arbitre « Monsieur l’arbitre, vous ferez attention à tel joueur ou telle phase de jeu, car il me semble en tout cas que… »
Cette approche est une bonne chose et permet le dialogue avant le match. Sur l’après match c’est difficile, on est à chaud, l’entraîneur qui a gagné est dans la satisfaction, celui qui a perdu est dans la frustration. Toutefois, il m’est arrivé d’appeler des arbitres dans la semaine pour avoir des retours sur certaine situation et pour échanger avec eux sur le match. Il faut entretenir des rapports réguliers et faire la part des choses entre les rapports autour du match qui sont un peu tronqués car il y a du stress avant le match et beaucoup de passion après le match.
Sortir du contexte passionnel du match est important pour être dans un travail de compréhension de l’arbitrage et de l’amélioration des joueurs.
Marc Lièvremont
Je peux vous livrer une anecdote intéressante. Dans ma carrière, j’ai été deux fois sanctionné d’un carton rouge, un comme joueur universitaire et un autre comme entraîneur de Dax en Pro D2. J’étais un acteur plutôt respectueux avec les arbitres.
Je me souviens très bien de ce match universitaire sur lequel j’ai été sanctionné de ce premier carton rouge, j’avais 19 ans à l’époque. Je jouais à l’Université des Sciences Sociales de Toulouse et ce jour là nous affrontions l’UFR STAPS de Bordeaux. On avait pris une fessée de 30 points et je me souviens d’un arbitrage catastrophique. J’avais été certainement très insolent avec l’arbitre et il m’avait sanctionné d’un carton rouge en tant que Capitaine. Et il y a quelques mois, j’ai reçu un courrier à Canal+ et c’était ce monsieur qui m’avait envoyé un courrier respectueux et très sympathique et qui me disait qu’il avait suivi ma carrière de joueur et de sélectionneur; et dans ce courrier il m’avait joint la photocopie de la feuille de match de cette rencontre où il était inscrit « le capitaine marqué LIÈVREMONT a été insupportable tout la partie, les joueurs des Sciences Sociales particulièrement étaient dissipés, l’équipe a été insolente et j’aurais pu expulser toute l’équipe tellement ils ont été insolents. » Il me félicitait pour ma carrière, j’ai beaucoup apprécié cette lettre, que j’ai trouvé drôle.
Entretenir les rapports avec les arbitres est important comme vous nous le décrivez. Pensez-vous cependant que la formation des arbitres doit être rapprochée de celle des joueurs ?
Pas forcément. Déjà, il y a un Pôle de l’arbitrage qui régulièrement initie des échanges avec les équipes. L’arbitrage, pour nous joueurs et entraîneurs, est essentiel au rapport de la connaissance de la règle et de la compréhension de la psychologie de l’arbitre. Il y a des rencontres entre les techniciens et arbitres. Je me souviens quand j’étais sélectionneur que l’on rencontrait les meilleurs arbitres internationaux pour échanger sur des règles et l’application des règles. Au quotidien, j’ai moi-même souhaité avoir des arbitres avec nous pour nous officier sur les entraînements. Ceci afin de nous préparer aux matches et compétitions en apprenant et intégrant les règles… Surtout leurs interprétations.
Par exemple, Joël Jutge nous aidait à préparer nos matches en Équipe de France et présentait l’arbitre comme une donnée importante du match. Le rapport à la règle, la psychologie… Le comportement a adopter concernant la gestion des erreurs de l’arbitre. J’ajouterai qu’en rugby, au niveau international, on la possibilité, le matin du match de rencontrer l’arbitre. J’y allais avec Joël, car mon anglais était limité, et surtout cela me permettait de créer du lien avec l’arbitre par la présence de Joël et ainsi donner le maximum d’atout à mes joueurs. La compréhension du rôle de l’arbitre était importante dans mon staff.
Aussi, il me semble que c’est un plus pour un arbitre d’avoir pratiqué le rugby. Ce n’est pas une condition obligatoire, mais c’est un vrai atout pour mieux comprendre le jeu. Même si, je le répète, ça ne garanti pas tout. Le contact au jeu permet de mieux s’imprégner des sensations du terrain. On sait ce qu’est une mêlée. On sait ce qu’est un plaquage. Cela change beaucoup de choses.
Nous partageons cette pensée également Marc. Il est important pour un arbitre d’avoir été au contact du terrain comme joueur. En parlant de joueur, quels seraient vos arguments pour un(e) jeune joueur(se) qui souhaite devenir arbitre de rugby ?
Tout le monde ne peut pas être un joueur de haut niveau, mais en revanche une carrière d’arbitre de haut-niveau, moi, je trouve cela chouette ! Il faut savoir faire des choix dans sa carrière. L’arbitrage c’est passionnant, c’est mon avis. Il faut aimer son sport. Être arbitre, c’est une fonction de passion et on est un acteur important voire central du jeu. C’est l’occasion de se réaliser dans le sport qu’on aime et dont on est passionné.
On peut effectivement se créer une belle carrière dans l’arbitrage et susciter des vocations, c’est tout l’objectif de Ref’mate. Que pensez-vous de l’arrivée du Rugby sur notre chatbot ?
Votre démarche est tout à fait pertinente. Bien évidemment !
Un outil, comme le vôtre, qui aide les arbitres et joueurs, mais également les passionnés est essentiel. Nos sports sont complexes et le rugby notamment. Mieux comprendre la règle et les décisions de l’arbitre permet de vivre sa passion de manière plus sereine et apaisée. Ref’mate est un outil qui donne la chance de mieux vivre son sport. J’ai aucun doute sur la pertinence de votre outil !
J’invite tout un chacun à rejoindre Weezl car votre outil est utile. Il permet de mieux connaître le rugby et le rôle essentiel de l’arbitre, sans qui il n’y aurait pas de match. Sans oublier de pouvoir vivre sa passion avec plus de sérénité et plus de plaisir !
Marc Lièvremont